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Les Français sont-ils tous devenus des Américains ? C’est ce qu’affirme Régis Debray !

Le philosophe Régis Debray publie « Civilisation – Comment nous sommes devenus américains« . Pour lui il n’y a plus de civilisation européenne ou française, et nous sommes tous sous le joug de la civilisation américaine !

REGIS DEBRAY ET « L’AMERIQUE »

Régis Debray a une histoire peu amicale avec « l’Amérique » (il faut ici comprendre « Les Etats-Unis ») : à l’âge de 20 ans, en 1960, il quitta la bourgeoisie parisienne pour rejoindre les nouveaux hommes forts communistes de Cuba, avant de devenir guérillero avec Ernesto « Che » Guevara en Bolivie et ailleurs sur le sous-continent. Arrêté, passé à la question (a priori par la CIA)… on peut penser ce qu’on veut des engagements de jeunesse de Debray, mais il n’est pas possible de nier qu’il en a eu ! Après une collaboration intellectuelle active au communisme révolutionnaire, Debray rejoindra les palaces dorés de la République dans les valises de François Mitterrand, avant de prendre un tournant un peu mystique et de comprendre avec 30 ans de retard que la gauche française était devenue « libérale » (à Paris « libéral » ça veut dire « capitaliste »). Son commentaire sur le nouveau président français confirme ses certitudes : « Emmanuel Macron est le produit de l’américanité, du post-moderne. C’est le primat de l’image ». Justement, Régis Debray a consacré une grande partie de sa carrière de penseur à observer l’impact des médias et de la communication.

Pour Régis Debray, il y avait sur cette planète – il n’y a pas si longtemps – une civilisation européenne avec différentes cultures, dont une culture américaine. Mais aujourd’hui il y aurait une civilisation américaine avec des spécificités culturelles locales sur le sol européen. La France ne serait plus, ainsi, qu’un variable culturel sympathique, et l’époque qui a vu s’ériger l’Union Européenne sur le continent serait en même temps celle de la fin de la civilisation européenne.

Jusqu’à preuve du contraire, c’est vrai qu’il n’y a pas de civilisation sans une religion pour moteur, et force est de constater que le « dieu de l’occident » habite désormais quelque part entre Atlanta et Montgomery-Alabama, mais plus dans les vieilles églises désertées de France, d’Allemagne ou d’Angleterre. Tout en découle, quelque part. Et quand Debray va se promener dans son quartier latin, là où tout a commencé, les symboles de la vieille civilisation semblent effacés derrière les Starbucks et McDonalds. Adieu les civilisateurs romains des quais de Seine, adieu Sainte Geneviève, adieu les théologiens de la Sorbonne du Moyen-Âge, tout comme ceux qui ont tenté de les remplacer au XXème siècle, à savoir les philosophes marxistes de la rue d’Ulm, dont Debray a fait partie. Quand il passe devant les Presses Universitaires de France… à la place il ne peut voir… qu’un magasin de l’enseigne Nike.

LES INTELLECTUELS ET LE « DECLIN »

Mais Debray n’est pas José Bové ; pas un simple démonteur de McDonald’s. Si un Eric Zemmour lui conseille quand même de sortir du quartier latin pour voir qu’autour de Paris ça ressemble souvent plus à une civilisation islamique qu’à un paradigme américain, le philosophe analyse tout de même d’autres gammes de symboles que ceux de la chaussure et de la restauration rapide. Il fait le constat du passage des Français du stade de l’Homo politicus à celui de l’Homo œconomicus ; de celui du savoir à celui du capital. Et c’est là que son livre est important. Après une accalmie depuis 1983 du côté des crânes généralement tempétueux de Saint Germain-des-Prés, les intellectuels « anti-système » redeviennent depuis quelques années des succès d’édition, avec pour point commun un certain pessimisme. En janvier dernier, avec son livre « Décadence », le plus populaire de ces penseurs, Michel Onfray, avait lui aussi acté la « fin de la civilisation » au profit  (selon lui), non pas des « Américains », mais du transhumanisme, c’est-à-dire d’une nouvelle race d’hommes améliorés par la technique (avec, toujours selon Onfray, la possibilité, pour la France, d’une phase intermédiaire islamique avant d’accéder à cette nouvelle étape) (la nature ayant horreur du vide, une civilisation doit en remplacer une autre). Le romancier le plus populaire, Michel Houellebecq, décrit le futur proche de la France comme étant joyeusement islamique (notamment grâce à la polygamie !). Et le plus grand succès récent de librairie dans la catégorie « essai » reste celui d’Eric Zemmour, intitulé « Le suicide Français ». Ceux qui tenaient à la civilisation française ou européenne ont donc un peu la gueule de bois ces dernières années : ils sont cernés par les « déclinistes », tels que surnommés par leurs opposants, même s’il est impossible par exemple de classer l’anticlérical Michel Onfray dans la catégorie des « obsédés de la civilisation chrétienne ». « C’est la fin de la civilisation, tout a une fin, c’est juste un constat », répètent-ils sur les plateaux de télévision. Ils ne parlent d’ailleurs plus de « déclin », mais bel et bien de « fin » ou de « suicide » : on est passé à l’étape supérieure. Pour Régis Debray ce n’est d’ailleurs pas forcément si grave. Dans une interview au Monde il précise : « L’Autriche-Hongrie a cessé d’être une grande puissance après sa défaite devant la Prusse, à Sadowa, en 1866, et Vienne est ensuite devenue la capitale mondiale des arts et des sciences d’avant-garde, Freud, Schönberg, Wittgenstein, jusqu’à l’arrivée d’Hitler. Un demi-siècle d’effervescence créatrice. » Effectivement, en Autriche ça s’est terminé avec Hitler, Régis Debray fait bien de le rappeler, même s’il le dit vite ! Quand Rome danse, l’incendie n’est peut-être jamais très loin…

LE BURGER DEZINGUE LE JAMBON BEURRE

Civilisation : le dernier livre de Régis DebrayRégis Debray ne se définit pas (ou plus) comme « anti-américain », et il se dit même au contraire « admiratif » de ce mouvement hégémonique (sans pour autant le cautionner, bien évidemment). Alors, pourquoi serions-nous – selon lui – tous devenus américains ? Le français n’est plus la langue de la diplomatie depuis le traité de Versailles en 1919, ni celle de l’olympisme depuis les Jeux de Rio en 2016 ; Halloween a remplacé la Toussaint ; i-Télé a été rebaptisée « CNews » ; les partis politiques organisent des élections primaires ; Emmanuel Macron chante La Marseillaise avec la main sur le cœur, comme les Américains, comme les Américains, comme les Américains… et les symboles s’enchaînent, sans parler bien entendu des attentats linguistiques contre la langue française, aussi bien dans le langage télé que dans celui parlé dans les rues de Paris (ou de Montréal !). Mais Debray tente d’aller au-delà des symboles pour signer enfin l’acte de décès d’une civilisation au profit d’une autre, et voir en quoi consiste cette « civilisation américaine ». Il faut le lire pour être convaincu… ou pas !

Le message du nouveau président Emmanuel Macron est ainsi aux antipodes de Debray, celui de « la France qui gagne contre la France qui a peur ». Debray lui répond que la poursuite du bonheur, « the pursuit of happyness », c’est par essence « l’american dream ». Ceci dit, M. Macron a beau avoir la main sur le cœur le soir de sa victoire, il n’a réalisé « que » 24% au premier tour de l’élection, alors que le score cumulé des deux principaux partis « insoumis » était de 40%. Comme quoi, les Français ne sont pas encore devenus des gens « heureux comme un Américain », et s’il reste bien une constante civilisationnelle entre Paris et Marseille, c’est qu’on n’empêchera pas les Français de râler !

« Civilisation. Comment nous sommes devenus américains », de Régis Debray (Gallimard, 231 pages, 19 euros).

Gwendal GAUTHIER

Restaurant Kalimera (grec et libanais) à Miami

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Un commentaire

  1. Trop rapide comme vision et surtout avec un angle trop négatif de l’après… Il est vrai que les particularités de la France ont été tués par le désire de tonton de vouloir une Europe forte… Enfin il faut aussi avouer que les français aiment les produits et la vie américaine « hamburger et sauce barbecue »…

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