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Comment le dentiste de Napoléon III a gagné la Guerre de Sécession !

Le dentiste parisien Thomas Evans se retrouva incroyablement mêlé à plusieurs événements de son siècle, notamment en raison de son amitié avec la famille impériale.

Thomas W. Evans

Si vous visitez l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie, le bâtiment le plus remarquable porte le nom de Thomas W. Evans. Sans descendance, Evans avait légué sa fortune à l’Université pour qu’y soit créée une faculté dentaire. Il lui a également donné des objets, comme ce petit fiacre noir qu’on peut voir dans le hall et qui pourtant… ne lui a jamais appartenu !

Né en 1823 aux Etats-Unis, Thomas Evans devint dentiste en 1843, mais il n’exerça que quatre ans dans son propre pays. Un compatriote, dentiste à Paris (notamment du roi Louis-Philippe) l’embaucha dans son cabinet alors qu’Evans ne connaissait pas un mot de français. Le Second Empire arriva, et un jour Thomas Evans dû remplacer son patron afin de soigner le très chatouilleux président Louis-Napoléon Bonaparte. En 1951, Bonaparte était devenu si proche de son dentiste qu’il l’invita à son sacre sous le nom de « Napoléon III ».

Les historiens pensent que, dans ses mémoires, Thomas Evans a probablement un tout petit peu exagéré cette proximité avec la famille impériale, mais nul ne doute de sa réalité : une multitude de petites histoires attestent qu’Evans a bien participé à la grande Histoire. Et comme c’est « à la fin qu’on compte ses amis », racontons juste ce qui s’est passé lorsque l’Empire s’est effondré…

Napoléon III est capturé par les Prussiens à Sedan le 2 septembre 1870. L’empereur est déchu : le peuple de Paris réclame sa tête, celle de « l’espagnole » (l’impératrice Eugénie porte un nom espagnol), et l’avénement de la IIIe République. Deux jours plus tard, le 4 septembre au soir, le dentiste Thomas Evans a la surprise de trouver dans son hall d’entrée un fiacre noir. Les employés ont tout de suite mis à l’abri sa propriétaire qui lance désespérée à Evans : « Vous êtes mon seul et dernier ami ». Et c’est Thomas Evans qui va ainsi organiser la fuite de l’impératrice Eugénie vers l’Angleterre entre le 4 et le 8 septembre, dans ce qui ressemble fortement à la fuite de Louis XVI et Marie-Antoinette à Varennes, sauf que c’est vers l’ouest, et en l’occurence Deauville, qu’Eugénie va se diriger avec son dentiste pour trouver un bateau acceptant de lui faire discrètement traverser la Manche.

Plus tard elle retrouvera en Angleterre celui qui fut surnommé « le second en pire ».

La fuite de l'impératrice Eugénie
La fuite de l’impératrice Eugénie

UN DENTISTE TRES… DIPLOMATE

Thomas Evans avait alors acquis une telle notoriété qu’il était déjà devenu le dentiste personnel d’une foule de célébrités parisiennes (George Sand, Mérimée, Delacroix, Balzac…), mais aussi de la quasi-totalité des monarques européens (c’est bien connu : les dentistes aiment les couronnes !). Evans est mort en 1897 à la tête d’une fortune estimée à 35 millions de dollars.

Une fois posée cette proximité avec la famille Bonaparte, il apparaît déjà évident qu’Evans était plus qu’un dentiste, et mieux qu’un confident : il avait aussi des talents certains de diplomate. Mais il n’était pas non plus un simple « messager », car dans le cas précis de la Guerre Civile américaine, c’est vraiment lui qui est à l’offensive. Thomas Evans est originaire du Nord des Etats-Unis, et il croit fermement en l’Union. Ce qui n’est pas le cas des Américains de Paris, qui au début de la Guerre (1861) sont en écrasante majorité favorables à la partition du pays (entre le Nord et le Sud). Le gouvernement impérial est également favorable au Sud, tout comme la Cour et les Bonapartistes en général, mais aussi les journaux (qui étaient très dépendants du gouvernement) : tous sont favorables à la Sécession. Seuls les républicains et les monarchistes étaient restés fidèles au souvenir de La Fayette et de la grandeur du pays créé par Washington.

Napoléon III et la famille impériale
Napoléon III et la famille impériale

LA FRANCE ET L’AMERIQUE

Mais est-ce que ce problème de « sécession » était si important de l’autre côté de l’Atlantique ?

Oui, et ce pour deux raisons. L’une était relativement pratique : de très nombreuses usines françaises (et anglaises), notamment dans le Nord et en Normandie, dépendaient du coton sudiste. Or les nordistes maîtrisaient la mer et bloquaient ainsi le départ des bateaux. L’Europe commençait à se demander comment elle allait survivre sans ce coton, et des milliers d’ouvriers du secteur textile étaient las d’être au chômage technique.

L’autre raison était géopolitique : il avait certes été amusant d’aider Washington à donner l’indépendance à son pays alors composé de petites villes sur la côte Atlantique du continent. Mais un siècle plus tard, les Etats-Unis étaient déjà devenus un géant, entre autre à cause de (l’autre) Napoléon – celui d’avant – qui leur avait vendu le centre du continent pour une bouchée de pain. Comme chacun le sait, les nations européennes avaient déjà un peu de mal à accepter leurs propres pouvoirs respectifs. Alors, il était peu probable qu’elles tolèrent très longtemps une nouvelle nation de taille monstrueuse, et lui laissent la jouissance de richesses continentales. Et c’était aussi et surtout un problème pour la France qui, contrairement à l’Angleterre et à l’Espagne, avait totalement perdu pied dans le Nouveau Monde.

La Guerre de Sécession débute en avril 1861, et Napoléon III n’attend guère pour profiter des faiblesses américaines : le 31 décembre il décide d’envoyer un corps expéditionnaire pour annexer le Mexique. Bon il le fait à sa manière, en y créant un « empire indépendant » (forcément) et en mettant en 1864 à sa tête Maximilien de Habsbourg, frère du roi d’Autriche, qui embarque avec lui sa femme Charlotte, fille du roi de Belgique, pour l’un des plus beaux pataquès de l’histoire de l’humanité (le caractère « européen » de ce bazar diluant un peu la responsabilité toute parisienne des décisions prises).

En tout cas, si la Guerre de Sécession permit l’annexion du Mexique par la France, la première chose que fit l’Union américaine après sa victoire sur les Confédérés, ce fut d’aider Benito Juarez à virer les Français du Mexique (et à fusiller leur empereur autrichien).

Donc le dentiste de Napoléon lui aurait-il été de mauvais conseil ? Pour ce qui est de la présence française en Amérique, c’est certain ! Mais en tout cas c’est bel et bien ce Thomas Evans qui a fait gagner l’Union, car seul et contre tous il a réussi à convaincre l’Empereur d’attendre avant de faire son choix entre le Nord et le Sud. Si Evans n’avait pas été là, Napoléon III aurait probablement dû prendre sa décision, qui aurait été de soutenir les Etats Confédérés d’Amérique (CSA). L’Angleterre n’attendait que ça, et l’effet « domino » aurait au final obligé l’Union à cesser la guerre. Aujourd’hui il n’y aurait ainsi pas une seule Amérique, mais probablement trois : le Nord, le Sud, et un ouest mexicano-français avec une dynastie austro-belge à sa tête !

LE DENTISTE PART RENCONTRER LINCOLN

Thomas W. Evans
Thomas W. Evans

Bien sûr, il est en réalité difficile de savoir qui fut le plus influent dans ce concert des nations. Le dentiste le fut-il tant que ça ? En tout cas il a tout fait pour arriver à ses fins. Son intervention la plus déterminante advint alors que les troupes sudistes approchaient de Washington. L’Angleterre souhaitait que la France s’allie à elle pour soutenir les Confédérés. Et pour gagner du temps, le Dr Evans proposa à Napoléon III d’aller lui même enquêter aux Etats-Unis et de rassembler des preuves pour confirmer son intuition : que le Nord allait de toute façon gagner la guerre. « Sire, vous ne pouvez pas songer à reconnaître le gouvernement de Jefferson Davis, car le démembrement de notre grande Union fondée par Washington serait un crime. Si vous y contribuiez, les Etats du Nord ne l’oublieraient pas et maudiraient votre nom à tout jamais. Je vais aller aux Etats-Unis. Je vais partir par le premier bateau, pour me rendre compte par moi-même de la situation. J’irai directement à Washington voir M. Lincoln et M. Seward, et je vous rapporterai exactement la vérité ; je vous dirai s’ils croient et s’ils ont de bonnes raisons pour croire que la fin de la guerre n’est pas si éloignée. Et je suppliai Sa Majesté de ne pas agir avant que j’eusse pu lui rapporter ce que j’aurais appris au sujet de la guerre par des observations et une enquête personnelles.»

Napoléon III acquiesça : «Je ne crois pas que je reconnaîtrai la Confédération du Sud avant que vous ayez eu l’occasion de me communiquer les résultats de votre enquête. »

Evans débarque à New-York le 23 août 1864. Fait hallucinant, le dentiste de Napoléon est immédiatement reçu par le Secrétaire d’Etat (Seward) puis par le président Abraham Lincoln, avant d’être envoyé durant cinq jours au quartier général de l’Armée du Potomac avec le général Grant qui tente alors de prendre Richmond !!!

Ulysses S. Grant
Ulysses S. Grant

Le Dr Evans rentre à Paris en novembre 1864 et il contribue à convaincre l’empereur : « Lorsque le plan de campagne concerté entre Grant et Sherman me fut connu, je vis d’après mes cartes que c’était le « commencement de la fin », assure Evans dans ses mémoires. Certes, le Nord se portait bien mieux depuis la victoire de Gettysburg en juillet 1863, qui fut le véritable tournant de la guerre de Sécession. Un autre événement était advenu : Abraham Lincoln avait emporté l’assentiment des peuples européens suite au 1er janvier 1863, date à laquelle il avait proclamé l’émancipation des esclaves et en avait ainsi fait officiellement un enjeu de la guerre.

En 1864 il était ainsi plus facile de prédire l’issue de la Guerre Civile. Mais ça n’enlève rien aux mérites de Thomas Evans qui n’en fut pas moins convainquant !

Par ailleurs, le dentiste ne pouvait jamais faire une seule chose à la fois. Alors, durant ses cinq jours sur le front de la Guerre de Sécession, il nota abondamment comment les services médicaux de l’Union étaient organisés, et il rédigea un livre entier sur le sujet afin d’aider les troupes françaises à mieux soigner leurs blessés.

Ainsi, des années plus tard, alors qu’un fiacre noir s’était arrêté à son domicile parisien, juste de l’autre côté de la rue, un camp de tentes offertes par l’US Army était alors en train d’accueillir les blessés rapatriés de Sedan. Le Dr Evans, sans forcément avoir cherché la publicité, rentrait ainsi discrètement dans la grande Histoire.

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